Marshmallows et Röstigraben

Gilberte TinguelyBlog, Skeptiker-BlogLeave a Comment

Un titre bien français pour ce premier blog écrit dans la langue de Molière. Vous aurez sans doute remarqué que le ‹et› est effectivement français.

Puisque les [Skeptiker] Schweiz décident de venir discuter à Fribourg pourquoi ne pas cogiter sur l’impact que cette barrière des Rösti peut avoir. Plus précisément, il s’agit de regarder de plus près l’influence que peut avoir la langue que nous parlons sur notre façon de penser et de nous comporter. Rien de moindre que le prestigieux journal scientifique ‹Science› a utilisé le titre ‹Marshmallows and Rösti(graben)› fait bien sûr pour capter l’attention d’une Fribourgeoise (Science 339, 11). Vous vous demandez certainement ce que des marshmallows qui pour nous sont plutôt un symbole américain peuvent avoir affaire avec notre Röstigraben.

rösti et marshmallows

Comme moi, vous ne saviez peut-être pas que les marshmallows ne sont pas une invention américaine et encore moins une création récente. Je viens de le découvrir. Il semblerait que les Egyptiens déjà en avaient; c’était un remède contre la toux et les maux de gorge. Les gourmands Français en aurait fait une confiserie qu’ils ont appelée pâte de guimauve puisque la guimauve en est l’agent actif.  D’ailleurs, la traduction littérale de marshmallow est mauve des marais. Ma première dégustation de marshmallows a eu lieu à Londres à l’âge de 19 ans, je n’avais ni toux ni mal à la gorge.

Mais pourquoi donc ce titre dans ‹Science›? Qui aurait pensé que notre Röstigraben qui désigne un clivage politico-culturel en Suisse puisse faire le titre dans un journal aussi réputé et de plus scientifique? Commençons par les marshmallows car c’est avec le marshmallow test que cette histoire débute. Ce test a été inventé par un professeur de psychologie de l’université de Stanford pour  faire des expériences de gratification différée. Le premier objectif avait été d’étudier le développement de la capacité à attendre pour obtenir quelque chose que l’on désire chez des enfants. Les enfants avaient le choix entre manger un marshmallow ou autre biscuit immédiatement ou attendre un quart d’heure pour en obtenir deux. Cette capacité de résister à la tentation comme d’autres capacités dépend de l’âge de l’enfant mais aussi d’autres déterminants comme de la fiabilité de son environnement. C’est un test intéressant car il peut être prédictif du succès académique, de la santé physique et de la compétence sociale. Une étude d’imagerie par résonnance magnétique faite 40 ans plus tard avec les mêmes sujets a démontré que le cortex préfrontal et le striatum ventral qui sont des aires cérébrales importantes pour les processus de contrôle et de motivation qui jouent aussi leur rôle dans les dépendances montraient une activation différente pour les deux groupes de sujets (PNAS 108, 14998).

Un économiste de l’université de Yale s’est intéressé à l’impact de la structure de la langue sur le comportement. Il a testé son hypothèse selon laquelle les langues qui associent grammaticalement le présent et le futur favorisent un comportement orienté vers le futur  et il a trouvé que les personnes qui parlent une telle langue économisent davantage, ont plus de biens au moment de leur retraite, fument moins, ont des comportements sexuels plus sûrs et sont moins obèses (Am Econ. Rev. 103, 690). L’allemand est une telle langue, vous pouvez utiliser le présent pour parler de ce qui se passera demain ou dans une année alors qu’en français on utilise le futur pour parler de tout ce qui se passe après le moment présent. Les résultats du World Values Survey confirment cette prédiction pour les différents pays et aussi pour les différentes régions linguistiques d’un même pays. Ainsi d’après cette enquête les Alémaniques économiseraient le double des Romands. Ce qui ferme la boucle entre les marshmallows et le Röstigraben.

Voilà qui est fait pour laisser perplexes tous les intellectuels persuadés que la pensée (critique) peut être parfaitement logique et indépendante. Cela n’enlève rien à la logique, mais ajoute des facteurs comme la langue que l’on parle, notre environnement social et nos émotions qui ont aussi leur mot à dire.

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